~ Par Antoine PINCHOT | Ancien Chef de Pupitre ~

"En musique, le ra est un triple coup de baguettes frappé sur un tambour."


       Chargés de régler la discipline, le service et la manœuvre, les fifres, les tambours et les cornets jouent un rôle essentiel dans la bonne marche du régiment d'infanterie. Loin d'être des "troubadours régimentaires", ils sont comme tous les autres soldats soumis à des devoirs et à l'ordre hiérarchique. Leurs activités ne sont pas définies par le règlement d'infanterie de 1791, en vigueur de la Révolution à 1831, ce qui a pu laisser penser à certains qu'ils se comportaient en "électrons libres" régimentaires. Tout au contraire, leur quotidien est dicté par des usages extrêmement précis qui, s'ils se sont transmis par tradition, n'en restent pas moins semblables d'un régiment à l'autre.

 

Il est important de distinguer la clique, groupe de fifres et de tambours chargés de régler la discipline, le service et la manœuvre de l'infanterie, des musiques. Ces orchestres d'agrément sont composés de musiciens gagistes qui ne sont pas considérés comme des soldats et ne sont pas portés sur les registres régimentaires. Ces formations, limitées théoriquement à huit exécutants, n'incluent d'ailleurs ni fifres ni caisses. Ces instruments, outre leurs limites chromatiques, sont en effet trop sonores. Les musiques sont composées essentiellement d'instruments de facture baroque, hautbois, clarinettes et bassons, autant d'instruments au son plus feutré que le fifre et la caisse couvriraient sans difficulté. La caisse y est remplacée par une caisse roulante, une longue caisse en bois sans timbre au son grave et étouffé.

 

Précisons au passage que ces orchestres ne comportaient que très peu de cuivres, le clairon, les instruments à pistons et de la famille du saxophone n'ayant pas encore été inventés. A l'exception du trombone à coulisse, on n'y trouvait guère que des cors naturels et des trompettes de cavalerie, instruments à l'étendue limitée qui ne pouvaient interpréter le chant principal et se trouvaient réduits à une fonction d'accompagnement.


 

 

 

 

 

 

ROUSSELOT Lucien -  Aquarelle originale, "Tambour d'Infanterie de Ligne", d'après Carle VERNET, règlement de 1812 par BARDIN.


Le Tambour


Précision importante : contrairement à l'usage que nous faisons du terme aujourd'hui, le tambour désigne le musicien. L'instrument est appelé caisse.

 

Musicien ? C'est un bien grand mot lorsqu'on évoque les tambours napoléoniens. Contrairement aux musiciens gagistes des musiques régimentaires - formations théoriquement limitées à huit exécutants et ne comprenant pas de tambour mais plutôt une caisse roulante, longue caisse de bois dépourvue de timbre -, on n'exige pas de lui une maîtrise technique exceptionnelle. Comme l'écrit Kastner, « Les batteries et sonneries sont des signaux de convention, qui ne rentrent pas, à proprement parler, dans le domaine de la musique". Le tambour n'a pas une fonction d'agrément. Tout au contraire, les batteries qu'il interprète jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement d'un régiment d'infanterie.

 

Contrairement à une idée communément répandue par la légende post-napoléonienne, les tambours n'étaient pas des enfants sous le premier empire. Les registres régimentaires montrent que leur moyenne d'âge ne diffère pas de celle des autres combattants. En vertu de l'arrêté relatif aux enfants de troupe et aux femmes à la suite de l'armée du 7 thermidor an VIII (26 juillet 1800), l'armée peut accueillir deux enfants de troupe par compagnie, des garçons d'au moins 2 ans issus du mariage légitime d'une femme attachée à un corps militaire et d'un soldat en service ou mort au combat. Ils reçoivent une instruction générale et militaire puis, à l'âge de 16 ans, peuvent contracter un enrôlement volontaire. Dès l'âge de 14 ans, ils peuvent être admis, si leurs talents le permettent, dans la musique du régiment. Cependant, l'arrêté stipule qu'ils ne peuvent être employés comme tambours avant l'âge de 16 ans. La "mythologie" du tambour-enfant semble être née de la période révolutionnaire précédant l'arrêté et de l'éternelle confusion entre musique régimentaire, orchestres d'agrément, et fifres et tambours aux fonctions strictement militaires.

 

Le tambour occupe une place des plus modestes dans la hiérarchie militaire, placée juste au-dessus de l'enfant de troupe. Il perçoit pourtant une solde importante, à peine moins élevée que celle d'un caporal. Cette somme lui permet de subvenir lui-même à l'entretien de sa caisse, de ses accessoires et à l'achat des peaux.

 

Son répertoire ne présente pas de grandes difficultés. Ces batteries, qu'elles soient strictement réglementaires ou adoptées par usage, couvrent trois domaines : le service (réveil, alarmes, distributions, ...), la discipline (appels, inspections, extinctions des feux, ...) et la manœuvre (cadences de pas, rappels, ...).

 

Le règlement prévoit 2 tambours par compagnie, soit pour environ 140 hommes, pour un total d'une cinquantaine de tambours par régiment. Ils sont placés sous les ordres du tambour-major du régiment, assisté pour l'instruction et la discipline quotidienne par le caporal-tambour.

 

Afin de parfaire sa maîtrise technique et sa connaissance de l'usage de chaque batterie en fonction des circonstances, chaque tambour, novice et ancien, assiste quotidiennement à l'école du tambour, instruction menée par le caporal-tambour sous la surveillance du tambour-major.

 

Chaque jour, plusieurs tambours sont désignés pour rejoindre les gardes du régiment, la garde de police et le piquet. Le tambour du piquet se tient prêt à battre en cas d'alarme et le tambour de police effectue toute la journée, de l'aube à l'extinction des feux, les nombreuses batteries prévues par le règlement.

 


Le Fifre


Le règlement d'infanterie de 1791, en vigueur au cours des guerres révolutionnaires et napoléoniennes mais aussi des règnes de Louis XVIII et de Charles X, ne fait aucune référence aux fifres. Pourtant, il ne fait aucun doute que des régiments d'infanterie ont perpétué cet usage remontant à François Ier. C'est le cas de la garde impériale, comme le prouve la création d'une école des fifres à Versailles en 1811. Des fifres d'honneur attribués à des soldats appartenant à d'autres régiments d'infanterie sont parvenus jusqu'à nous. Les registres des récipiendaires de la médaille de Sainte-Hélène, attribuée en 1857 aux vétérans de la révolution et de l'empire, attestent de la remise de cette décoration à quelques fifres.

 

Bardin décrit même un porte-fifre dans son Manuel d'infanterie (1813). Cependant, il prend soin d'ajouter en note :

 "Ceci est conforme à un usage ; mais n'est point l'effet d'une règle. Les réglemens ne connoissent pas de fifres. Cette fonction s'est éteinte sans avoir été supprimée ; il y a 30 ans (1783, NdA) que les régimens n'avoient pas de musique, ou du moins de musique reconnue par les réglemens ; mais par bataillon il y avoit deux clarinets et un fifre pour accompagner les tambours. Ces soldats ont été peu à peu changés en musiciens, et ont cessé de jouer pendant les batteries."

 

Voilà qui soulève une énigme. Une fonction éteinte mais non supprimée, alors même que le réglement ne la prévoit pas... Des musiciens qui ont cessé de jouer mais dont on prend soin de décrire le porte-fifre... Des fifres fantômes à qui l'on décerne des instruments d'honneur puis des médailles... Pour qui, enfin, l'on ouvre une école attachée au corps le plus prestigieux...

 

De ces paradoxes et de la nature officieuse de la fonction, il ressort qu'il est aujourd'hui impossible de déterminer combien de fifres comportait chaque régiment, quels étaient leurs devoirs et leur tâches particulières. Des fifres étaient-ils attachés aux piquet et à la garde de police ? Avaient-ils un instructeur particulier, une sorte de caporal-fifre officieux, ou le caporal tambour se chargeait-il de ces leçons ? C'est fort possible, le caporal tambour ne pouvant se transformer à loisir en homme orchestre. On sait en tous cas que l'école des fifres de la garde impériale en possédait. L'histoire a même retenu le nom de l'un d'entre eux : un certain "Lyon"... Enfin, voilà bien des zones d'ombre restant à dissiper.

 

Les fifres n'étaient pas indispensables à l'exécution des batteries mais ils les rendaient plus intelligibles pour les soldats. Par exemple, il n'est pas si évident de distinguer la charge du pas accéléré joués par des tambours soli. En revanche, une mélodie se retient plus facilement et l'on peut même émettre l'hypothèse que les soldats "collaient" des paroles sur ces airs en guise de moyens mnémotechniques. Nous savons que ce fut le cas plus tard : dès 1841, le corps expéditionnaire en Algérie chanta "L'as-tu vu, la casquette, la casquette ?" sur la batterie aux champs. Puis ce fut "V'là l'général qui passe..."

 

Hélas, le folklore des soldats révolutionnaires et impériaux n'est parvenu que partiellement jusqu'à nous. Tout juste apprend-on ici ou là que les soldats donnent un nom "trivial" à telle ou telle batterie, telle ou telle pièce d'équipement. Mais la pudeur de l'auteur, contemporain de ces hommes-là, lui interdit d'être plus précis. Hélas, hélas...